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Le rap contre l’extrême droite en 10 morceaux

Le mor­ceau « No Pasarán”, sor­ti lun­di soir sur You­tube, a fait cou­ler beau­coup d’encre. À l’ins­tar du col­lec­tif de rap­peurs der­rière ce mor­ceau, les artistes fran­çais s’en­gagent. Dans le contexte des élec­tions légis­la­tives, les prises de parole fleu­rissent sur les réseaux mais aus­si sur les scènes. Les artistes pro­fitent du micro pour appe­ler le public à voter. Une période qui rap­pelle de nom­breux épi­sodes his­to­riques du pays. Des évé­ne­ments durant les­quels les rap­peurs et rap­peuses se sont à chaque fois mobilisé·e·s.  Retour sur 10 mor­ceaux emblé­ma­tiques du rap français. 

11’30 contre les lois racistes – Akhe­na­ton, Free­man, Mys­tik, Assas­sin, Fabe, Pas­si, Sto­my & cie (1997)

En 1997,  le pro­jet de loi Debré vise à dur­cir les condi­tions d’entrée et de séjour des immi­grés en France. Ce pro­jet de loi s’inscrit dans la conti­nui­té des lois Joxe, Deferre, Pas­qua qui ont en com­mun l’hostilité envers les étran­gers.  À l’initiative du réa­li­sa­teur Jean-Fran­çois Richet (Ma 6T va cra­cker), 17 rap­peurs vont se réunir et prendre la plume pour dénon­cer ce racisme ins­ti­tu­tion­nel.  À cette époque, le rap fran­çais est très poli­ti­sé. Les têtes d’affiche répondent direc­te­ment à l’appel : Akhe­na­ton, Pas­si, Sto­my Bug­zy, Assas­sin, Fabe rappent tour à tour des cou­plets de pres­tige dans ce qu’on pour­rait qua­li­fier de “péti­tion rap”. Les fonds récol­tés pour ce mani­feste anti­ra­ciste sont rever­sés au MIB (Mou­ve­ment de l’immigration et des ban­lieues). La sor­tie du disque s’ac­com­pagne d’un concert à la Cigale à Paris. Tiré ini­tia­le­ment à 6 000 exem­plaires, le disque est un suc­cès com­mer­cial attei­gnant 60 000 exem­plaires, per­met­tant aux orga­ni­sa­teurs de faire un chèque de 500 000 francs au MIB.

Ma pun­chline préférée : 

“Les faits sont his­to­riques, le peuple fran­çais a fait cou­ler son sang,

Pour écrire noir sur blanc les bases d’une démo­cra­tie en Occident”

Hip-hop Citoyens  (2002)

Le 21 avril 2002, la France voit, pour la 1ère fois depuis le début de la Vème Répu­blique, un can­di­dat d’ex­trême-droite atteindre le second tour des élec­tions pré­si­den­tielles.  Face à cette tra­gé­die, la rap­peuse Prin­cess Aniès décide de réunir un cas­ting XXL com­pre­nant entre autre Sni­per, Scred Connexion, Zoxea, OL Kain­ry… Cer­tains font un constat pour com­prendre les causes de cette mon­tée d’i­dées xéno­phobes (la res­pon­sa­bi­li­té des médias, qui ont mon­té en épingle les pro­blèmes d’in­sé­cu­ri­té, est sou­vent mise en cause). D’autres regrettent de s’être abs­te­nus (ou de ne pas être ins­crits sur les listes) et prônent un vote “du moins pire” au 2nd tour. Tous sou­lignent le dan­ger de voir un can­di­dat ouver­te­ment xéno­phobe au som­met de l’É­tat et la volon­té de ne plus jamais revoir cette situation.

Ma pun­chline préférée : 

“Sommes-nous les pre­miers cou­pables et vic­times à la fois ?

Res­pon­sable, sur l’beat ou dans les urnes j’pose ma voix

À qui la faute si aujourd’­hui j’suis obli­gée d’é­crire c’texte à mon tour

On n’doit plus res­ter sourd, fal­lait s’ré­veiller avant l’se­cond tour”

La France, iti­né­raire d’une polé­mique – Sni­per (2003)

En 2003, des mili­tants d’extrême-droite issus du grou­pus­cule Bloc Iden­ti­taire font pres­sion sur les mai­ries et les salles de concert pour inter­dire la venue du groupe Sni­per. Un mode opé­ra­toire qui consiste à inon­der de mes­sages élec­tro­niques, coups de télé­phone et tracts les muni­ci­pa­li­tés qui accueillent le groupe. En les mena­çant, si besoin est, de faire tour­ner au vinaigre la mani­fes­ta­tion cultu­relle. L’origine ? Cer­taines phrases des mor­ceaux “La France” et “Jeteurs de pierre” qui ont irri­té leurs oreilles fra­giles. “On n’est pas dupes, en plus on est tous chauds/ Pour mis­sion, exter­mi­ner les ministres et les fachos”Les mili­tants d’extrême-droite réus­sissent à convaincre un syn­di­cat de police, Nadine Mora­no, puis le ministre de l’intérieur Nico­las Sar­ko­zy à por­ter plainte. Le groupe Sni­per est pour­sui­vi en jus­tice pour “pro­pos inju­rieux et racistes”, la moi­tié des dates de leur tour­née est annu­lée. Ils fini­ront relaxés mais bien affai­blis après 4 pro­cès. Tuni­sia­no raconte avec pré­ci­sion les années de démê­lés judi­ciaires dans “La France : iti­né­raire d’une polé­mique”. Ce mor­ceau est écrit comme une inter­view où Tuni­sia­no répond en rap­pant aux ques­tions du jour­na­liste Oli­vier Cachin.

Ma pun­chline préférée : 

“Ils s’a­charnent, ils insistent mais que dire, que faire ? Nous sommes trai­tés de racistes par les gosses à Hitler 

Les futurs nazis, aller­giques à la cou­leur. Assis à l’ex­trême-droite votre dis­cours a fait fureur

Marine – Diams (2006)

Diam’s est sûre­ment la rap­peuse la plus com­plète de sa géné­ra­tion. Elle arri­vait à lier le fond et la forme avec dex­té­ri­té. Elle avait la recette pour pro­duire un rap grand public mais éga­le­ment intros­pec­tif et enga­gé. La sin­cé­ri­té comme déno­mi­na­teur com­mun. Sa car­rière a été ryth­mée par dif­fé­rents com­bats qu’elle a menés au fil de ses albums. Elle a dénon­cé les vio­lences faites aux femmes, libé­ré la parole sur la san­té men­tale, et s’est beau­coup insur­gée contre l’extrême-droite.  « C’est toi qui m’gêne », « Ma France à moi », et « Marine » sont des brû­lots poli­tiques. Même dans « La bou­lette », single très mains­tream, elle rap­pelle son enga­ge­ment “Moi j’emmerde Marine juste parce que ça fait zizir”. Dans l’émission Tout le monde en Parle, Marine Le Pen est invi­tée à réagir à un extrait de « Marine ». Elle réfute la chan­son et pro­pose à Diam’s d’en dis­cu­ter autour d’un café. En plein concert, Diam’s répon­dra « Marine, plu­tôt cre­ver que d’aller prendre un café avec toi, je t’emmerde ». Actuel­le­ment retran­chée dans la reli­gion et les œuvres cari­ta­tives, Diam’s a tiré un trait sur sa car­rière musi­cale. Mais ses enga­ge­ments conti­nuent d’avoir un écho chez une jeu­nesse qui déplore la mon­tée inquié­tante de l’extrême-droite.

Ma pun­chline préférée : 

“J’suis pas de ceux qui prônent la haine 

Plu­tôt de ceux qui votent et qui espèrent que ça s’arrête”

Le front de la haine – Ken­ny Arka­na (2007)

En 2007, Keny Arka­na sort le mor­ceau « Net­toyage au kar­cher » dans lequel elle s’insurge contre Nico­las Sar­ko­zy, en réfé­rence à ses pro­pos tenus à Argen­teuil en pleine période élec­to­rale. Un sym­pa­thi­sant du Front Natio­nal va alors récu­pé­rer le mor­ceau et mon­ter un clip dans lequel il appelle à voter pour Jean-Marie Le Pen, can­di­dat FN, éga­le­ment en pleine cam­pagne élec­to­rale. 48h plus tard, Keny Arka­na rétorque avec un clip anti-FN qu’elle inti­tule « Le front de la haine ».

Elle accom­pa­gne­ra ce clip d’un com­mu­ni­qué de presse : “Défen­seuse d’une révo­lu­tion du bas et anti-ins­ti­tu­tion­nelle, je tiens à rap­pe­ler que je ne sou­tiens aucun can­di­dat, encore moins celui du Front Natio­nal, et que ce clip est en par­faite contra­dic­tion avec les valeurs que j’ai tou­jours défen­dues. Je ne reste pas indif­fé­rente à ce détour­ne­ment per­fide et scan­da­leux de ma musique et de mon mes­sage, mais cela met en évi­dence leur stra­té­gie éhon­tée de pro­pa­gande qui ne manque pas de por­ter atteinte à mon oeuvre. Le Com­bat Conti­nue, Vive La Résistance !”

Ma pun­chline préférée : 

“Tu veux ma rage hein ? Pour que ta moyenne monte 

Ton bleu-blanc-rouge m’écoeure moi j’suis une citoyenne du monde”

Écoute la rue – Marianne & Mama­dou (2007)

Après les émeutes de 2005 et à l’approche des élec­tions pré­si­den­tielles de 2007, le cli­mat du rap fran­çais est bouillant. La majo­ri­té des albums sor­tis à cette période parlent de poli­tique et dénoncent un cli­mat anxio­gène et ultra-sécu­ri­taire. C’est dans ce contexte qu’arrive la com­pi­la­tion “Écoute la rue Marianne” comme un pavé dans une vitre. Plus de cin­quante artistes mettent leur voix et leur plume au ser­vice de la pen­sée des ban­lieues, dans un concept inédit, basé sur le consen­sus. Écoute la rue Marianne est le résul­tat d’une syner­gie sans pré­cé­dent, à la hau­teur de l’en­jeu que repré­sentent les élec­tions pré­si­den­tielles de 2007. C’est une France qui confie son mal-être et ses reven­di­ca­tions à Marianne, gar­dienne des devises de la Répu­blique, une France qui ouvre le dia­logue pour envi­sa­ger l’a­ve­nir dif­fé­rem­ment. Écoute la rue Marianne sonne le glas d’une époque de contes­ta­tion au pre­mier degré pour une géné­ra­tion consciente qui tente autre chose, s’exprime et espère être entendue.

Ma pun­chline préférée : 

“Que le pays du borgne recon­naisse ses crimes, que les véri­tés sortent

Moi je repeins ce tableau, un peu de cou­leur sur nature morte”

Menace de mort – Yous­sou­pha (2011)

En 2008, le polé­miste Eric Zem­mour déclare sur le pla­teau de France Ô : “Je pense que le rap est une sous-culture d’a­nal­pha­bètes”. Cette décla­ra­tion choc ne man­que­ra pas de faire réagir le rap fran­çais et par­mi eux Yous­sou­pha.  En 2009, le rap­peur envoie une pique au roi de la polé­mique dans “À force de le dire” : À force de juger nos gueules les gens le savent/ Qu’à la télé sou­vent les chro­ni­queurs dia­bo­lisent les banlieusards/ Chaque fois que ça pète on dit que c’est nous/ Je mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d’Eric Zem­mour”. Le sucep­tible Eric Zem­mour s’empresse de por­ter plainte pour “Menace de crime et injure publique”. Dans une tri­bune parue dans Le Monde, le rap­peur se défend d’a­voir mena­cé le jour­na­liste, dénon­çant une nou­velle fois, le « fan­tasme d’un rap­peur-gang­ster-tueur ». «  “Le faire taire” il faut l’en­tendre dans le sens le plus élé­men­taire : le remettre à sa place, le mettre face à ses contra­dic­tions », écrit-il à pro­pos du jour­na­liste. En 2011, Yous­sou­pha revient sur toute cette polé­mique dans le titre “Menace de mort” et en pro­fite pour évo­quer les nom­breuses attaques judi­ciaires por­tées contre le rap fran­çais avant lui (NTM, Sni­per, Mr R, La Rumeur, Minis­tère Amer…)En 2012, la cour d’ap­pel de Paris juge « non cou­pable », le rap­peur Yous­sou­pha, en concluant que les pro­pos pour­sui­vis « n’ex­cé­daient pas les limites admis­sibles en matière de liber­té d’ex­pres­sion artis­tique ».

Ma pun­chline préférée : 

Depuis le temps, je guet­tais ce type qui vous mène à la baguette, mais

Parle de race en tête et puis nous traite « d’a­nal­pha­bètes », j’ai

Dit que j’é­tais du genre à réagir sur le BPM

Je ne tends pas la joue comme celui qui a vu le jour à Beth­léem

Musique nègre –  Kery James (2016)

Can­di­dat à la pré­si­den­tielle 2017, Hen­ry de Les­quen enchaîne les polé­miques. Dans son pro­gramme il est mar­qué noir sur blanc « La musique nègre sera ban­nie des médias publics ». Kery James ne man­que­ra pas de réagir et d’inviter Lino et Yous­sou­pha pour contre-atta­quer. Dans le clip, Kery invite la crème du rap fran­çais à venir figu­rer au ser­vice du message.

Ma pun­chline préférée : 

« Je serai der­nier s’il n’en reste qu’un, j’ai croi­sé des regards mesquins
Contro­ver­sé dans mes ver­sets comme un concert de Black M à Verdun »

Géné­ric – Médine (2019)

Depuis le début de sa car­rière, Médine col­lec­tionne les polé­miques orches­trées par l’extrême-droite. Chaque album, concert, appa­ri­tion du rap­peur met en sueur la facho­sphère. « Chaque fois que je parle j’ai des articles à charge » recon­naît Médine dans Spea­ker Cor­ner. L’obsession de l’extrême-droite pour le rap­peur du Havre relève du har­cè­le­ment.  “Une polé­mique par mois mais je reste jovial / Je fais plus d’audimat que le mariage royal” Par­mi ses détrac­teurs : Marine Le Pen, qui le qua­li­fie de « fon­da­men­ta­liste isla­miste », preuve qu’elle n’a jamais écou­té un seul album et qu’elle le réduit à une barbe et des sour­cils fron­cés. Dans le fea­tu­ring “Kyll” avec Boo­ba, Médine égra­tigne Marine Le Pen : “Pour le bir­th­day de ma niña je com­mande Marine en piña­ta”. Sauf que Marine Le Pen, n’a pas vrai­ment appré­cié cette petite dédi­cace et a répon­du au rap­peur havrais sur Twit­ter.  “Contre ça, nous, on ne pleur­niche pas. On se bat avec nos armes : nos convic­tions et notre amour de la France. MLP”. Dans la fou­lée, Médine a ripos­té avec beau­coup d’hu­mour et d’i­ro­nie : « Mes excuses aux Piña­ta du monde entier pour cette comparaison”

Ma pun­chline préférée : 

“J’pue d’la gueule quand je lis leurs pro­grammes à voix haute

Ils écrivent leurs dis­cours d’la main gauche, la droite est dans nos poches

Font des clins d’œil appuyés à la petite fille d’un borgne

Si j’vais à leurs funé­railles, c’est pour m’as­su­rer de leur mort”

No pasa­ran : 22 rap­peurs contre le RN (2024)

En 2024, le rap fran­çais n’est plus très poli­ti­sé. L’engagement a presque dis­pa­ru au pro­fit de la logique capi­ta­liste et ultra-libé­rale, à l’instar de son grand frère amé­ri­cain. La démo­cra­ti­sa­tion et la gen­tri­fi­ca­tion du rap ont fait pas­ser l’engagement au second plan, jugé ennuyeux et obso­lète. Est-il pos­sible de refaire un 11’30 contre les lois racistes avec la géné­ra­tion actuelle ? Peu pro­bable mais DJ Kore aura eu le mérite d’essayer. Le pro­blème c’est qu’on ne peut pas for­cer des rap­peurs non-poli­ti­sés à défendre des posi­tions poli­tiques. Une conscience poli­tique ne s’invente pas, c’est quelque chose qui mûrit avec le temps. Le mor­ceau est décou­su, bâclé, et tous les cou­plets ne sont pas per­ti­nents. Cer­tains des­servent même la cause. D’autres ont réus­si à rele­ver le défi comme Ker­chak et Soso Maness mais on passe trop vite de “J’ai fait un cau­che­mar j’ai oublié d’aller voter” de Nahir à “Marine et Marion les putes, un coup de bâton sur ces chiennes en rut” de Alk­pote. Dom­mage, il aurait fal­lu s’y prendre avant et mieux pen­ser le casting.

Ma pun­chline préférée : 

“C’est pas sur un scru­tin, au quo­ti­dien il faut combattre

C’est pas un can­di­dat c’est les idées qu’il faut qu’on batte”

Syl­vain Fadel

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