Chantiers communs 2025, luttes et imaginaires
Cette année s’est tenue la 7e édition de Chantiers communs. Ce rendez-vous culturel, organisé chaque année dans toute la Normandie,…
Si aujourd’hui la montée des eaux ne concerne plus seulement les zones littorales, mais bien l’ensemble de nos territoires, les côtes normandes et leurs communes la subissent de plein fouet. Dans le Calvados, les communes d’Asnelles et de Saint-Côme-de-Fresné se trouvent en première ligne. Pour mieux comprendre les enjeux du recul du traits de côte et ses conséquences sur les communes normandes, la journaliste Rose Leret-Parmentier, réunissait le 21 décembre 2024, sept expert·es derrière les micros, à l’espace Maurice Schuman à Asnelles.
Le littoral normand s’étend sur 600 km de côtes. Rocheuses, meubles, dures, parfois dotées de massifs dunaires, elles sont toutes concernées, à différents niveaux, par les altérations liées au changement climatique. Sur ces côtes, se trouvent des communes, des espaces naturels, des parcelles agricoles. Tous sont impactés par l’érosion côtière, la montée du niveau marin, la salinisation des terres, mais aussi par l’élévation du niveau des nappes phréatiques et la perturbation des cycles biologiques.
Sur la seule problématique du recul du trait de côte (le niveau de la mer devrait monter d’un mètre d’ici 2100), ce sont 111 000 logements, 122 000 résident·es et 54 000 emplois qui sont déjà menacés en Normandie. “Chaque endroit du territoire et du littoral doit savoir quels sont les mécanismes à l’œuvre, quels sont les usages ou les systèmes naturels qui sont impactés et qui vont devoir se transformer. Il faut accompagner le mouvement”, insiste Laurent Dumont, chef du bureau espaces littoraux, estuariens, marins à la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement).
Pour suivre ces évolutions, les outils technologiques sont nombreux : drones, relevés, données satellites … Tandis que l’Etat fournit les données d’aléas, les collectivités “doivent les digérer, discuter politiquement avec les habitant·es et les conseils qui sont légitimes pour le faire. Chacun doit choisir ses solutions en fonction de ses moyens et de ses volontés.”
C’est ainsi qu’est né le programme Notre littoral pour demain : “Le syndicat a souhaité se projeter sur la façon dont il souhaitait voir son littoral évoluer dans les années à venir. On est donc là pour, à la fois, fixer un cap à 2100, échéance du GIEC mondial, mais plus localement à 2050”, explique Eric James, chargé de mission aménagement durable au syndicat mixte Ter’Bessin. Depuis 2016, ce dispositif travaille à l’élaboration de stratégies locales de gestion durable de la bande côtière, avec la population et les acteurs socio-économiques du territoire. “Quand on est un habitant confronté à ça, on doit en parler. C’est la volonté du syndicat. Il ne faut pas que ce soit un sujet anxiogène. On doit anticiper collectivement, savoir de quoi on parle, faire monter cette culture du risque”, insiste le chargé du programme.
Priorité au collectif
Le collectif. Le terme met tout le monde d’accord autour de la table : “On parle beaucoup des aspects administratifs, budgétaires, scientifiques, etc. Mais en réalité, il est question de la vie des gens, de leurs choix. C’est une affaire humaine. Et quand on comprend ça, on ne sait plus trop quoi faire”, avoue Laurent Dumont. A côté de lui se trouvent Ronan Le Cornec et Camille Le Gac. Ces deux architectes ont posé leurs valises, pendant huit semaine, fin 2024, à Asnelles et Saint-Côme-de-Fresné, deux communes parmi les plus vulnérables du Calvados, pour une résidence sur les risques naturels littoraux. Avec les habitant·es, ils ont cherché à faire “collectif”. “On invitait les gens à venir avec leurs cartes postales, leurs souvenirs, leurs histoires, leurs anecdotes de vie, et on s’interrogeait : Comment est-ce que ça a évolué ? Il y a les changements suivis techniquement et scientifiquement, et puis il y a l’évolution des personnes, de leurs souvenirs, de leurs mémoires.” L’objectif : comprendre le territoire, saisir les risques auxquels celui-ci se confronte, ouvrir un espace de discussion et élaborer, ensemble, des perspectives de futurs désirables.
“Il faut se projeter, aider la population à comprendre que la mer monte, qu’elle va continuer à monter. Ça va même s’accélérer. Désolé d’être anxiogène, mais c’est une réalité”, reconnaît Régis Leymarie, délégué adjoint au Conservatoire du littoral. Dans le processus de compréhension, la culture du risque tient une place centrale. Le poste de secours d’Asnelles en a pris les couleurs, incarnant l’installation de cette culture dans le paysage normand. À l’occasion de leur résidence, les deux architectes y ont inscrit : “La mer monte” en lettres bleues capitales. “Pendant la tempête Darragh, des particuliers sont allés filmer le littoral, se remémore Elisabeth Taudière, directrice de Territoire pionniers. Sur les vidéos, on voit le poste de secours en premier plan. C’est une manière d’interpeller les passants, les visiteurs, les gens qui viennent le week-end se promener.”
Pourtant pour les habitants de ces rivages, pas besoin de grandes affiches ou de grands discours. La conscience du risque est bien présente : “Ils ont pu voir ces cabanes de plage, ils ont pu voir ces frontons se faire emporter par la mer, ils ont pu voir disparaître ces épis, ce sable sec, énumère Camille. Ils sont tous acculturés à ce risque.” L’enjeu pour eux est surtout de se rassembler, de ne pas se sentir seul, submergé par cette réalité. De la création d’un festival du risque au street art en passant par la création d’un groupe whatsapp en cas de danger, les propositions n’ont pas manqué de la part des habitants, investis dans l’écriture de leur territoire.
Plus que de moyens, de solutions “miracles” qui seront coûteuses et inutiles, “nous avons besoin d’altérité, de regarder les autres, et d’essayer de fonctionner avec eux”, résume Frédéric Gresselin, hydrogéologue à la DREAL Normandie, docteur en sciences de la terre et membre du GIEC Normand.
Vous pouvez retrouver l’intégralité de notre échange avec Élisabeth Taudière, Camille Le Gac, Ronan Le Cornec, Eric James, Régis Leymarie, Frédéric Gresselin et Laurent Dumont en écoutant le podcast « Le recul du trait de côte et les conséquences pour les communes normandes » dans Parlons Transition, sur phenix.fm.
Cette année s’est tenue la 7e édition de Chantiers communs. Ce rendez-vous culturel, organisé chaque année dans toute la Normandie,…