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Parlons transition : les Normand·es à l’épreuve de la montée des eaux

Si aujourd’hui la mon­tée des eaux ne concerne plus seule­ment les zones lit­to­rales, mais bien l’ensemble de nos ter­ri­toires, les côtes nor­mandes et leurs com­munes la subissent de plein fouet. Dans le Cal­va­dos, les com­munes d’Asnelles et de Saint-Côme-de-Fres­né se trouvent en pre­mière ligne. Pour mieux com­prendre les enjeux du recul du traits de côte et ses consé­quences sur les com­munes nor­mandes, la jour­na­liste Rose Leret-Par­men­tier, réunis­sait le 21 décembre 2024, sept expert·es der­rière les micros, à l’espace Mau­rice Schu­man à Asnelles.

Le lit­to­ral nor­mand s’étend sur 600 km de côtes. Rocheuses, meubles, dures, par­fois dotées de mas­sifs dunaires, elles sont toutes concer­nées, à dif­fé­rents niveaux, par les alté­ra­tions liées au chan­ge­ment cli­ma­tique. Sur ces côtes, se trouvent des com­munes, des espaces natu­rels, des par­celles agri­coles. Tous sont impac­tés par l’érosion côtière, la mon­tée du niveau marin, la sali­ni­sa­tion des terres, mais aus­si par l’élévation du niveau des nappes phréa­tiques et la per­tur­ba­tion des cycles biologiques. 

Sur la seule pro­blé­ma­tique du recul du trait de côte (le niveau de la mer devrait mon­ter d’un mètre d’i­ci 2100), ce sont 111 000 loge­ments, 122 000 résident·es et 54 000 emplois qui sont déjà mena­cés en Nor­man­die. “Chaque endroit du ter­ri­toire et du lit­to­ral doit savoir quels sont les méca­nismes à l’œuvre, quels sont les usages ou les sys­tèmes natu­rels qui sont impac­tés et qui vont devoir se trans­for­mer. Il faut accom­pa­gner le mou­ve­ment”, insiste Laurent Dumont, chef du bureau espaces lit­to­raux, estua­riens, marins à la DREAL (Direc­tion régio­nale de l’en­vi­ron­ne­ment, de l’a­mé­na­ge­ment et du logement). 

Pour suivre ces évo­lu­tions, les outils tech­no­lo­giques sont nom­breux : drones, rele­vés, don­nées satel­lites … Tan­dis que l’Etat four­nit les don­nées d’aléas, les col­lec­ti­vi­tés “doivent les digé­rer, dis­cu­ter poli­ti­que­ment avec les habitant·es et les conseils qui sont légi­times pour le faire. Cha­cun doit choi­sir ses solu­tions en fonc­tion de ses moyens et de ses volontés.”

C’est ain­si qu’est né le pro­gramme Notre lit­to­ral pour demain : “Le syn­di­cat a sou­hai­té se pro­je­ter sur la façon dont il sou­hai­tait voir son lit­to­ral évo­luer dans les années à venir. On est donc là pour, à la fois, fixer un cap à 2100, échéance du GIEC mon­dial, mais plus loca­le­ment à 2050”, explique Eric James, char­gé de mis­sion amé­na­ge­ment durable au syn­di­cat mixte Ter’­Bes­sin. Depuis 2016, ce dis­po­si­tif tra­vaille à l’élaboration de stra­té­gies locales de ges­tion durable de la bande côtière, avec la popu­la­tion et les acteurs socio-éco­no­miques du ter­ri­toire. “Quand on est un habi­tant confron­té à ça, on doit en par­ler. C’est la volon­té du syn­di­cat. Il ne faut pas que ce soit un sujet anxio­gène. On doit anti­ci­per col­lec­ti­ve­ment, savoir de quoi on parle, faire mon­ter cette culture du risque”, insiste le char­gé du programme. 

Prio­ri­té au collectif

Le col­lec­tif. Le terme met tout le monde d’accord autour de la table : “On parle beau­coup des aspects admi­nis­tra­tifs, bud­gé­taires, scien­ti­fiques, etc. Mais en réa­li­té, il est ques­tion de la vie des gens, de leurs choix. C’est une affaire humaine. Et quand on com­prend ça, on ne sait plus trop quoi faire”, avoue Laurent Dumont. A côté de lui se trouvent Ronan Le Cor­nec et Camille Le Gac. Ces deux archi­tectes ont posé leurs valises, pen­dant huit semaine, fin 2024, à Asnelles et Saint-Côme-de-Fres­né, deux com­munes par­mi les plus vul­né­rables du Cal­va­dos, pour une rési­dence sur les risques natu­rels lit­to­raux. Avec les habitant·es, ils ont cher­ché à faire “col­lec­tif”. “On invi­tait les gens à venir avec leurs cartes pos­tales, leurs sou­ve­nirs, leurs his­toires, leurs anec­dotes de vie, et on s’interrogeait : Com­ment est-ce que ça a évo­lué ? Il y a les chan­ge­ments sui­vis tech­ni­que­ment et scien­ti­fi­que­ment, et puis il y a l’é­vo­lu­tion des per­sonnes, de leurs sou­ve­nirs, de leurs mémoires.”  L’objectif : com­prendre le ter­ri­toire, sai­sir les risques aux­quels celui-ci se confronte, ouvrir un espace de dis­cus­sion et éla­bo­rer, ensemble, des pers­pec­tives de futurs désirables. 

“Il faut se pro­je­ter, aider la popu­la­tion à com­prendre que la mer monte, qu’elle va conti­nuer à mon­ter. Ça va même s’ac­cé­lé­rer. Déso­lé d’être anxio­gène, mais c’est une réa­li­té”, recon­naît Régis Ley­ma­rie, délé­gué adjoint au Conser­va­toire du lit­to­ral. Dans le pro­ces­sus de com­pré­hen­sion, la culture du risque tient une place cen­trale. Le poste de secours d’Asnelles en a pris les cou­leurs, incar­nant l’installation de cette culture dans le pay­sage nor­mand. À l’occasion de leur rési­dence, les deux archi­tectes y ont ins­crit : “La mer monte” en lettres bleues capi­tales. “Pen­dant la tem­pête Dar­ragh, des par­ti­cu­liers sont allés fil­mer le lit­to­ral, se remé­more Eli­sa­beth Tau­dière, direc­trice de Ter­ri­toire pion­niers. Sur les vidéos, on voit le poste de secours en pre­mier plan. C’est une manière d’in­ter­pel­ler les pas­sants, les visi­teurs, les gens qui viennent le week-end se promener.”

Pour­tant pour les habi­tants de ces rivages, pas besoin de grandes affiches ou de grands dis­cours. La conscience du risque est bien pré­sente : “Ils ont pu voir ces cabanes de plage, ils ont pu voir ces fron­tons se faire empor­ter par la mer, ils ont pu voir dis­pa­raître ces épis, ce sable sec, énu­mère Camille.  Ils sont tous accul­tu­rés à ce risque.” L’enjeu pour eux est sur­tout de se ras­sem­bler, de ne pas se sen­tir seul, sub­mer­gé par cette réa­li­té. De la créa­tion d’un fes­ti­val du risque au street art en pas­sant par la créa­tion d’un groupe what­sapp en cas de dan­ger, les pro­po­si­tions n’ont pas man­qué de la part des habi­tants, inves­tis dans l’écriture de leur territoire. 

Plus que de moyens, de solu­tions “miracles” qui seront coû­teuses et inutiles, “nous avons besoin d’altérité, de regar­der les autres, et d’essayer de fonc­tion­ner avec eux”, résume Fré­dé­ric Gres­se­lin, hydro­géo­logue à la DREAL Nor­man­die, doc­teur en sciences de la terre et membre du GIEC Normand. 

Vous pou­vez retrou­ver l’in­té­gra­li­té de notre échange avec Éli­sa­beth Tau­dière, Camille Le Gac, Ronan Le Cor­nec, Eric James, Régis Ley­ma­rie, Fré­dé­ric Gres­se­lin et Laurent Dumont en écou­tant le pod­cast « Le recul du trait de côte et les consé­quences pour les com­munes nor­mandes » dans Par­lons Tran­si­tion, sur phenix.fm.

 

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